Answer me (ft Ophelia)

Ça pue. Tu le sais, tu la connais suffisamment bien pour le savoir. Quelque chose s’est passé, et tant que tu ne sauras pas quoi, tu vas être sur les nerfs…

Tu roules aussi vite que les limitations de la Grosse Pomme te l’autorisent, Kayne, les sourcils froncés et une mine qui ne donnerait à personne l’envie de t’approcher. Tu n’as pas l’air complètement sur les nerfs, pas en panique non plus, mais quelque chose a commencé à se remuer dans tes tripes quand tu as vu tous tes sms rester sans réponse depuis la veille. Ça arrive de ne pas répondre, tu le sais, mais pas elle, pas vous. T’es pas un accro à la téléphonie moderne, mais clairement quand Ophelia t’envoie un message, tu lui réponds toujours dans l’heure, un petit rictus content au coin des lèvres. Alors oui, si la flic (nan mais vraiment, qui fait ce genre de job, d’abord ?) est au abonné absence depuis plus de vingt-quatre heures, toi, tu le dis : ça pue.

Il te faut quitter Brooklyn pour entrer dans Manhattan et quand tu vois le lower east side, tu accélères inconsciemment. T’es pas patient comme garçon, rarement dans la retenue et le calme, mais il y a des personnes qui te font plus réagir que d’autres. Aujourd’hui, visiblement, c’est le cas, vu comme tu t’empresses de garer la Yamaha en grommelant dans ta barbe avant d’aller à grands pas taper contre la porte du numéro soixante-quatorze, la mine toujours aussi mécontente.

« Eh, c’est moi ! Tu fais entendre par-delà la porte, sans prendre la peine de donner ton identité. Elle connait ta voix, tu le sais. J’ai apporté le repas et de quoi boire, ouvre-moi ! Et t’as intérêt à avoir une bonne excuse pour le silence radio. »

On sent clairement à ta voix que tu n’es pas en colère, juste préoccupé et pas certain encore de comment tu dois réagir. Tu le sais, selon la gravité de ce qu’il se passe, tu pourras autant rire et désarmé la situation, que t’enflammer et vouloir aller casser la gueule d’une ou plusieurs personnes. Pour l’instant, l’entre-deux te met à fleur de peau, donne à ta haute carrure une impression presque dangereuse et intimidante.

« J’ai faim, ouvre s’te plait. »

Tu remontes sur ton épaule le sac à dos qui contient de la nourriture à emporter, italien parce que tu connais ses goûts et qu’aujourd’hui tu veux et lui faire plaisir, et prendre soin d’elle. Une bouteille de vin rouge pèse avec le tout, quand bien même tu n’as jamais eu le palais pour ce genre de boisson. Et comme si cela devenait trop lourd pour toi, tout à coup, tu frappes à nouveau le battant de sa porte en grognant, prêt à forcer la serrure si elle ne se dépêche pas de t’ouvrir, comme tu le veux.

Comme des yeux de démons. C'est tout ce qui lui reste à l'esprit, son regard digne des pires dragons de ce monde. Au départ, elle devait simplement aller récupérer de la paperasse. Elle n'avait pas d'affaire là et c'était tant mieux. En grimpant les marches cette soirée là, son sourire éclatant dominait son visage. Parce qu'elle était comme ça, que sa douceur se dégageait de tout son être, jusqu'à ce qu'elle doive entrer dans son rôle déterminant de lieutenant de police. Elle se croyait invincible cette fois-là, à tort. Lorsque les iris avaient croisé celle du dépravé, c'est comme si son corps entier avait paralysé. Vision qui la ramenait des années en arrière, qui faisait remonter des souvenirs hideux et sinistres.

Et lui ? Il lui avait lancé cette œillade pleine de provocation.
Ce rictus avilissant, écume d'avidité aux lèvres.

Elle n'avait pas tardé à retrouver son domicile, verrouillant derrière elle. L'impression qu'elle devait se cacher du monde entier. Comme le petit chaperon rouge qui aurait tenté de se sauver du loup. Elle avait tout de suite virer son téléphone, terrorisé de recevoir un message de sa part. Quelques heures plus tard, abri trouvé dans le fond de la douche, recroquevillé sur elle-même sous l'eau brûlante. Au moins, à cet endroit, les larmes se mêleraient à la chose. Les genoux repliés contre elle-même, faciès dissimulé dans le creux de ceux-ci, elle sent son cœur vouloir lui traverser la gorge. De violentes nausées lui montent dans l'œsophage, revoyant le film ce qui s'était passé il y a plusieurs années. Bourdonnement à l'étage inférieur, incertaine de la provenance exacte. Peut-être juste une voiture à l'extérieur, le voisin. Néanmoins, la cacophonie augmente, la poussant à sortir de la douche, enfiler un peignoir et descendre vers le large portail.

Kayne ? Elle reconnaît la voix de son meilleur ami derrière la barrière qui les séparait. L'habitude de s'échanger régulièrement des messages, elle n'avait pas pensé que ce silence aurait pu le rendre nerveux. J'arrive.

Quand elle ouvrit finalement la porte, l'image qui se présenta à l'homme était plutôt triste. Brunette à la peau blanchâtre, les yeux vermeil à force de pleurer et les cheveux encore humides de sa douche. Elle devait faire de la peine à voir, frêle dans son peignoir foncé et le corps tremblant. Je suis désolé, je n'ai pas pensé. Elle s'élance, venant entourer ses bras autour de la nuque du châtain. Je l'ai vu Kayne .. Je l'ai vu, au poste.. Elle n'a même pas besoin de donner de détails, il comprendra tout de suite. Jamais il ne l'avait vu dans un tel état, sauf par la faute du dragon qui lui avait, autrefois, privé de son consentement. Elle se décale un peu, lui faisant signe d'entrer.

Tu laboures le sol de tes pieds en recommençant à abattre ta main contre la porte. Il n’y a pas un instant l’idée qu’elle n’est peut-être pas là ou tout simplement qu’elle ne veut pas te voir. De toute façon, Kayne, si un jour la jolie brune refuse de te voir et de te parler, tu seras tout bonnement incapable de le comprendre… Mais si cette optique déplaisante pourrait venir alourdir tes épaules, tu n’as pas le temps de le ruminer que la porte s’ouvre enfin et sur le coup, tu relâches un souffle de soulagement.

Ca ne dure pas… Devant toi, alors qu’elle prononce ton prénom, tu découvres Sophia avec une mine qui vient aussi sec enflammer tes accents protecteurs. Si instinctivement, tu commences à prendre une attitude agressive, prêt à en découdre et à te battre pour la protéger, elle fait fondre le costume du méchant en glissant ses bras autour de ton cou. Pendant quelques secondes, tu restes les bras pendant, avec cet air de chiot surpris par un geste nouveau, et puis tu secoues le nez avant de refermer les bras dans son dos et pendant quelques secondes, tu essaies de lui transmettre ta chaleur, quand bien même tu n’en es pas pourvu d’énormément.

« Rentrons. Tu te retrouves à grincer d’un ton sombre, après ses maigres explications. Tu vas attraper la mort à rester sur le pas de porte. »

Ca te coûte énormément de ne pas la noyer de questions et d’éviter de prendre une décision enflammée et dangereuse, pourtant tu le fais uniquement pour elle. Une main au bas de son dos, contre le peignoir et sans une once de pensées déplacées, tu la suis vers l’intérieur de sa main. Comme un habitué, tu es celui qui referme la porte d’entrée à clé, et après quelques pas, tu poses ton sac sur une surface en hauteur avant d’inspirer à fond, et reprendre d’une voix dont on dicerne clairement les accents meurtriers.

« Il a fait quelque chose ? Il t’a parlé ? Tu recules d’un pas pour sonder son visage et observer le peu de peau qui dépasse de son vêtement sombre, à la recherche de bleus ou de traces. Un rictus mauvais se dessine sur tes lèvres. Il a osé poser son regard de porc sur toi ? »

C’est là toute ta tolérance à ce sujet. Tu voudrais tomber sur ce type et lui crever les yeux pour qu’il ne puisse plus jamais ne serait-ce que regarder ton amie. A vrai dire, tu voudrais le tuer, toi, mais elle ne t’en a jamais donné le droit et tu t’y es tenu, conscient de la gravité de cette volonté. En tout cas, tu as complètement oublié la nourriture et le vin. Tu es juste là, à la regarder avec des yeux brûlants, le visage de plus en plus sombre.

« Tu aurais du m’appeler tout de suite, je serais venu avec toi, quitte à louper le travail. Tu recommences à ronger ton pouce nerveusement, conscient de ne peut-être pas être ce dont elle a besoin. Dis-moi quoi faire, ma belle. Parce que toi, tu te sens complètement idiot dans ces moments-là. »

Lorsque les bras de son ami viennent se refermer autour d'elle, c'est comme si un remède à ses maux avait été appliqué. Enfin, dans ce cruel monde, quelqu'un la comprenait sans même qu'elle n'ait besoin de détailler la situation. Il y avait bien longtemps qu'une étreinte de ce genre avait réuni les deux êtres, quelques années même. Autrefois amoureux, autrefois incapable d'être séparés, ces gestes étaient d'un naturel total. Cependant, ils avaient décidé d'inclure le physique le moins possible par après, risquant d'éveiller de vieilles blessures pas tout à fait cicatrisées. Ça ira. Petit timbre de voix tremblant, mais elle tente de le rassurer tandis que son ami se met en mode direct de protection, surtout pour sa santé. Il l'entraîne néanmoins dans l'appartement, alors qu'il referme derrière lui pour veiller à la sécurité.

Elle se laisse presque d'abattement contre son canapé. Assise sur le bout de celui-ci, elle vient poser ses coudes contre ses genoux, enfouissant son visage rougit par les larmes de le creux de ses mains. Elle admire la protection que Kayne lui offre, sachant qu'il avait été présent durant tout le déroulement de ce cauchemar. De la première journée à aujourd'hui. Il ne m'a pas adressé la parole. Par chance, sinon elle en aurait probablement perdu le sifflet, souffle qui serait sans doute interrompu dans le creux de sa cage thoracique. Par contre, il m'a regardé. Longtemps ! Et il y avait cette .. Satisfaction dans son regard. Comme s'il était heureux de savoir qu'il me hantait depuis toutes ces années. Pendant de très longues années, elle avait hésité à dénoncer ce dépravé. Elle aurait voulu raconter au monde entier comment il avait usé de son pouvoir et les choses absurdes qu'il avait fait. Possiblement, qu'elle n'était pas la seule dans cette hantise. Carrière de l'homme bien entamé à ce moment-là, il y avait dû avoir plusieurs autres inoffensives nymphes qui avaient malheureusement croisé son chemin. Elle aurait aimé dénoncer non seulement pour elle, mais pour toutes les autres. Elle n'avait jamais pu. Bataille constante dans ce domaine de travail pour obtenir une place qui semblait être réservée aux plus forts de ce monde. Chutes fréquentes lorsqu'un bourreau lui passait devant. Elle avait mis tellement d'années à se forger cette carapace, prouver qu'elle pouvait le faire .. Que si seulement elle avait osé parler, la direction aurait pris le parti inverse.

Tu es fou ? Souffle t-elle en venant attrapé une des joues de Kayne avec sa main. Je ne t'aurais jamais fait manquer le boulot pour ça. Tu fais tellement de choses pour moi, je ne peux pas te demander ça en plus. Elle l'entraîne à ses côtés, afin qu'il prenne place. Tu fais déjà la bonne chose. En étant là. Sa tête vint se poser contre l'épaule du colosse, fermant les paupières le temps d'un instant. Sa simple présence permet de calmer la tempête qui anime la brune, seulement lui. Je peux te demander de rester cette nuit ? Je sens que mon sommeil sera agité et que dès que mes yeux seront fermés, je vais le voir. Lui.

Tu n’aimes pas entendre le timbre de sa voix. Tu détestes quand tu la sens aussi fragile et que tu n’étais pas là, sur le moment, pour lui rappeler combien elle est forte et combattive. Ca fait partie des choses qui ont tendance à te mettre complètement sens dessus dessous et tu te connais, Kayne, tu vas devenir probablement collant dans les jours à venir, juste pour ne pas louper encore quelque chose. C’est comme ça, écrit dans l’épaisseur de ta chaire : quand tu aimes, tu protèges.

Et forcément, tu ne peux pas t’empêcher de vouloir en savoir plus. Qu’est-ce que cette ordure a bien pu faire ? S’il ne lui a pas parlé, le fait qu’elle t’explique qu’il a posé les yeux sur elle te fait voir rouge. Assurément que tu pâlis, mon vieux, alors que tu abaisses tes paupières sur tes iris clairs, et à l’intérieur de toi, il y a un animal sauvage qui gronde. Il t’en faut peu pour ne pas quitter la maison dans un claquement de porte et chercher ce type. En fait, il n’y a que sa main qui attrape la tienne et t’amène à t’asseoir près d’elle qui parvient à t’en empêcher.

« Je ne suis pas fou. Tu te retrouves à grincer alors que sa main sur la tienne te rappelle quelques instants de doux souvenirs. Tu devrais me faire louper le boulot pour ça. Et pour tout le reste. Je m’en fiche du travail ! C’est faux. Tu as besoin d’argent et tu mènes ta propre croisade là-bas, pourtant sur le coup, tu en as même oublié ta vengeance. Je vais le tuer… »

Ça finit par t’échapper, forcément. Tu es assis à côté d’elle, et tu la sens poser sa joue contre ta large épaule. Ça te fait autant de mal que de bien, de la sentir si proche. Si ça ne pouvait pas marcher entre vous, tu as probablement toujours une sorte d’amour pour Ophelia. Puissant et platonique… mais toi qui n’as jamais fait ta vie, tu sais qu’elle aurait pu te combler. Cette idée te fait baisser les yeux sur ta main qui est revenue attraper la sienne, caressant sa peau de ton pouce.

« Même si tu m’avais demandé de partir, je n’aurais pas quitté le quartier… mais je suis content de ne pas devoir dormir sur le perron. Tu essaies de faire meilleure figure, même si ta voix lente laisse imaginer que tu réfléchis à plein régime. Il ne t’approchera pas, je te le promets. Tu voudrais dire “plus” mais tu te retiens. Ton amie est flic, après tout, tu ne peux pas parler de volonté de meurtre devant elle. On va te faire penser à autre chose, d’accord ? »

Tu repousses doucement sa tête de ton épaule et tu lui offres tout le paradoxe de ta personne en un sourire déchiré. Plein de douceur et d’une volonté de la rassurer, et pourtant teinté d’une colère froide, d’un éclat dans tes yeux qui appelle le sang. Tu poses tes lèvres contre son front rapidement, ne t’autorisant que bien rarement ce genre de geste, et tu finis par te remettre debout pour aller chercher ton sac à dos. Ce n’est qu’en te rassoyant à côté d’elle que tu en sors une bouteille de vin rouge italien, que tu espères de bonne facture vu son prix, et des boites de nourriture qui sentent bon.

« Je me suis dit que ça te ferait plaisir. Tu lui expliques maladroitement, en la laissant découvrir les menus. »

Presque quinze ans en arrière, elle se souvenait d'avoir aperçu cette animosité dans les prunelles de son ami. Cette colère, qui grondait dans son bas-ventre, n'avait jamais cessé de s'animer à travers les années. Jusqu'à ce jour, elle ne le remercierait jamais assez pour cette sécurité qu'il lui offrait. Elle avait toujours su qu'elle pourrait lui faire confiance si jamais son moral en venait à chuter de nouveau. Par moments, elle se demandait presque s'il n'était pas encore plus en ébullition qu'elle, face à ce sujet. Personne ne tuera personne. Si j'en ai jamais parlé, c'est pour une raison. Il était au courant Kayne, de ce parcours chaotique qui se trimbalait dans sa vie depuis toujours. Il savait qu'elle gardait le silence face à cette histoire, pour ne pas être mise sur la sellette. Que quelque part, une voix rugirait pour dire qu'elle avait inventé ça de toute pièce.

Il accepte de rester dormir et tout de suite, le soulagement est immédiat. En réalité, elle aurait été extrêmement surprise d'entendre une négation sortir d'entre ses lèvres. Surtout aujourd'hui. Je n'allais pas te laisser dehors sur le perron voyons ! Peut-être pas dans mon lit, mais .. Le canapé, c'est bien ! Un mince sourire dessine son visage. C'est qu'après avoir parlé qu'elle réalise. Autrefois, ils s'y endormaient tous les soirs, ensemble. Autrefois, cet endroit était leur refuge et personne d'autre. Oh .. Désolé. Elle ferme difficilement les paupières lorsque les lèvres de son ex se posent contre son front, venant crisper la mâchoire sous la douceur de ce geste. Elle le regarde s'éloignant, se demandant bien ce qu'il comptait sortir de son sac. Avec lui, elle pouvait s'attendre à n'importe quelle surprise. Mais .. Lorsqu'elle vit la bouteille de nectar sortir, un immense sourire prit place sur son faciès. Tu es le meilleur, tu sais ça ?

Elle se relève, direction la cuisine pour aller récupérer deux verres cristallins et revenir auprès de lui. Est-ce qu'on trinque à quelque chose ? Souffle t-elle en venant reprendre place à ses côtés. Aucun événement particulier ne teintait la vie des deux jeunes gens mais .. Depuis toujours, la brunette adorait rendre les événements exceptionnels, trouvé une petite pointe de bonheur dans tout, colorant l'obscurité. D'ailleurs, je dois te parler d'un truc, complètement stupide. Elle attend que le vin soit versé, avant de poser la coupe contre la table de bois foncé. J'ai couché avec un de mes employés. Une main qui se relève tout de suite en l'air, avant qu'il ne se lance tout de suite dans un discours incriminant. À ma défense, je l'ai appris par après.

Un grognement. Tu ne peux pas répondre par autre chose alors que la jolie jeune femme t’apprend qu’elle ne te laissera pas régler son compte à ce gros porc qui continue de darder son regard sur elle. Et vraiment, Kayne, tu en meurs d’envie. Tu sais pourtant combien prendre la vie est un acte misérable et horrible, pour être du côté de ceux qui subissent la perte, mais pour ce type, tu es prêt à tâcher tes mains de manière éternelle. Il le mérite, c’est tout ce qui tourne en boucle dans ta tête.

Du coup, tu ne réponds rien à ton amie. Tu ne peux pas dire quelque chose, tu mentirais et elle s’en rendrait compte aussi vite. À la place, tu lui offres quelques instants un visage pincé, contracté par la fureur et cette volonté animale d’en découdre et tu finis par relâcher bien difficilement ton souffle quand la discussion prend un peu une autre tournure. Tu lui offres une oeillade, avant de la taquiner d’une voix encore en pleine ébullition :

« Le canapé ça m’ira, mais qui me dit que tu ne vas pas venir t’y glisser pendant la nuit. Je sais me tenir, moi… mais toi ? »

Il fut un temps où cette boutade aurait été encore emplie d’espoir, quand bien tu sais que votre relation ne pouvais pas fonctionner. Pourtant, aujourd’hui, tu le dis juste pour lui changer l’esprit, tout comme tu lui ouvriras pudiquement les bras si elle a besoin de toi pour dormir. Tu sais te tenir, Kayne, quand bien même cette femme t’a plu et te plait toujours, à sa façon. Et justement, tu te rends compte que tu es encore capable de la combler quand tu reviens avec l’alcool et la nourriture.

« C’est toi qui fait ressortir le meilleur de moi. C’est une vérité. Tu n’es pas quelqu’un de bon, ou de réussi, mais ceux que tu aimes et qui t’entourent, t’aident à le devenir. Tu veux trinquer à quelque chose, toi ? Toi, tu réfléchis, et si tu voudrais bien trinquer à avoir retrouvé (peut-être) les assassins de Clarence, tu préfères proposer : A une belle soirée entre amis ? A nous, à ta force et à mon… heu…excellence en terme de choix de repas ? »

Un rire t’échappe enfin, et tu finis par cogner ton verre au sien et avaler une grosse gorgée de jus de raisin fermenté avec une moue contenue. Non, vraiment, ce n’est toujours pas ton truc. Tu es d’ailleurs sur le point de lui faire la remarque quand elle change de sujet et… Wow ! Tes yeux s’ouvrent en grand, ta bouche en fait autant mais sa main te stoppe et tu la laisses finir. Et franchement, vieux, pendant les dizaines de secondes qui suivent, tu as une expression entre surprise totale et une certaine forme de… jalousie ? D’envie ? De souvenirs ? Même toi, tu ne saurais le dire, mais ça te remue et il te faut avaler la nouvelle avec une autre gorgée d’alcool, pour te reprendre.

« Il est nouveau au commissariat ou tu l’avais juste jamais croisé ? Tu viens la questionner, presque un peu soupçonneux. Te connaissant, tu as du lui dire que tu lui coupais les parties s’il balançait ça sur les toits, non ? Il n’a rien dit ? Tu aimerais bien la voir régler le compte de ce mec, et ça étire un sourire moqueur sur les lèvres. Si ça arrive, prévient moi, que je sois là lors du spectacle. »

La conversation prend une tournure différente, dans un autre temps, ils auraient tout de suite arrêté de parler pour s'élancer dans une romance beaucoup plus fiévreuse. Dans un autre temps, dormir séparé était complètement prohibé. Ils devaient être collés en tout temps, sinon elle avait l'impression qu'il lui manquait déjà. Si jamais je me sens mal, je pourrai venir te rejoindre. Elle avale nerveusement sa salive. Simplement parce que je n'aime pas être seule. J'aurai encore mon pyjama sur le dos. Elle sait très bien que ce ne serait pas une bonne idée. Ils sont de merveilleux amis après tout, il ne faudrait pas tout gâché en essayant de raviver une flamme passée, de faire passer la peine en s'amusant. Tout serait gâché. Ou .. Peut-être pas ? Il a raison, trinquer à leur amitié, c'est une des meilleures choses à faire. Elle s'était rendu compte avec le temps que la majorité des gens, incluant elle, passait souvent le commentaire quand les choses allaient mal, mais ne disait jamais rien quand les choses allaient bien. Il suffisait de voir les commentaires sur Google avis, une tonne de personne pensait sûrement comme elle. À nous. Souffla-t-elle en venant doucement claquer son verre contre le sien, plongeant son regard dans celui de son ami.

Son commentaire sembla le prendre par surprise et avec raison. Elle qui, en temps normal, entretenait une étiquette du travail très sérieuse. Elle s'était toujours promis de ne jamais franchir les lignes avec ses employés. Même lorsqu'ils étaient simplement amis, elle tentait de garder une distance certaine. Les émotions pouvaient jouer des tours, mêlés les sentiments aux événements et ce n'était pas vraiment une bonne idée. Je ne l'avais jamais croisé. Inutile de te dire la surprise que j'ai eue en le croisant, le lendemain matin même ! Je suis resté un peu sous le choc je t'avoue. Elle vient porter le verre à ses lèvres une nouvelle fois, prenant une longue mais satisfaisante gorgée. Je lui ai dit que s'il parlait .. Je le faisais renvoyer. Il n'a rien dit encore, on ne s'est pas vraiment revu, pour le moment.

Une de ses mains vint attraper la sienne en guise de réflexe. C'était probablement une erreur. Souffla-t-elle à voix basse. Une partie d'elle ne savait pas trop si c'était une bonne idée de lui avoir parlé de ça. Elle connaissait ses réactions par coeur, elle avait vu la lueur de jalousie qui avait passé dans ses yeux, cette .. Mauvaise surprise qu'elle lui avait fait éclater au visage. Alors .. euhm.. On mange un truc ? Dit-elle en faisant référence à la nourriture qu'il avait emporté. Elle se releva pour se rendre à la cuisine, récupérant quelques assiettes et couverts. Dans le creux de sa gorge, un petit malaise s'y blottissait encore. Elle savait qu'elle avait fait du mal et pourtant, la seule chose qu'elle voulait ; c'est l'embrassé pour s'excuser. Ça c'est mal. Tu veux manger dans la cuisine ou .. dans le salon ?

Un rire t’échappe, alors que tu lui offres de drôle de regard complice, quand elle parle de venir te rejoindre en pyjama. En soi, ça ne t’arrêterait pas, et elle non plus, mais les choses ont changé et tu sais très bien que tu te tiendras, quand bien même sa présence contre toi dans un lit peut encore te faire de l’effet. Quand vous vous êtes séparés, tu as accepté de te tenir correctement, de ne pas essayer de redéclencher les choses entre vous parce que son amitié t’était bien trop importante. C’est peut-être en ça que l’on peut voir combien tu l’as aimée… Combien pourrait tuer dans l’oeuf leur amour pour ne pas perdre une personne chérie ?

« Tchin ! Tu viens cogner ton verre dans le sien, yeux accrochés à ses iris avant de rajouter. On devrait toujours trinquer à quelque chose, ça rend chaque moment plus unique, en fait. »

Petite remarque à toi-même en fait, mais que tu lui offres à voix haute. Et tu pourrais te perdre dans ces pensées philosophiques pourtant pas vraiment de ton niveau intellectuel quand elle te lâche une nouvelle qui fait un effet de bombe. Et forcément, ça te fait réagir, ça te rend… nerveux et tendu. Même ses réponses, pas si surprenante quand on la connait un peu, ne calme pas ton angoisse. Tu la laisses tout de même s’expliquer, te raconter les menaces qu’elle lui a fait peser dessus sans un mot. Tes lèvres se pincent, tes yeux, eux, viennent complètement fouiller les siens, pour savoir ce qu’elle ressent au fond d’elle. Et en fait, c’est quand tu la vois changer de sujet, presque précipitamment, que tu comprends que tu ne pourras pas passer à côté comme si de rien n’était.

« Ophelia. »

Son prénom, sur un ton qui refuse qu’on l’ignore. Elle te demande où tu veux manger et si tu te lèves pour la rejoindre à la cuisine, si tu lui prends les assiettes des mains, ce n’est pas pour t’installer et partager le repas avec elle. Tu reposes les affaires sur le meuble le plus proche, avant d’attraper ses épaules de tes grandes mains chaudes, et tu la capturent dans tes yeux clairs.

« Pour le moment ? Tu comptes donc le revoir ? »

Tu aurais peut-être dû demander d’autres choses, en fait, mais tu ne peux pas t’empêcher de savoir ce qu’elle envisage pour cette rencontre qui, visiblement, la touche quand même d’une manière ou d’une autre. T’inspires à fond, en avalant ta salive en même temps qu’une grosse boule de jalousie inquiète avant de la relâcher lentement et reculer en prenant un air léger pour éviter de l’angoisser.

« Il ressemble à quoi ton Don Juan ? C’est un gradé ? Tu finis par installer les couverts dans la cuisine, et t’installer sur une chaise, l’air de rien. Pourquoi tu as détourner la conversation ? Tu crois que je vais faire la tête ? Tu finis par la questionner, avec un léger sourire un peu forcé sur les lèvres. »

C'est un drôle de sentiment de raconter ces histoires à quelqu'un qui a autrefois partagé sa vie. À un moment, les sentiments de la brune brûlaient pour Kayne et se voyaient terminer sa vie à ses côtés. Mais .. La routine de la vie avait fait les choses autrement. Finalement, il ne restait qu'une amitié et des réminiscences profondes d'un passé autrefois partagé. Pendant qu'elle parlait, ses iris analysaient le visage de Kayne, se rendant bien compte que ses mots le heurtait plus que de raison. La nausée s'empare d'elle, tout ça devient trop étrange, beaucoup trop. Elle revoit soudainement les images de leur rupture, cette fameuse soirée où tout avait finalement pris fin. Kayne .. Souffla-t-elle sur le même timbre de voix que lui. Interrompue dans ses mouvements, les larges pattes de son ex petit ami vinrent se poser contre ses épaules pour le forcer à le regarder. Je ne sais pas .. Je travaille avec lui forcément, je vais devoir le revoir éventuellement. On s'échange quelques messages texte, rien d'intense mais il .. Elle s'interrompt, réfléchissant pendant un moment, à savoir si c'était vraiment la bonne chose à dire. À Kayne du moins. Il est beaucoup dans mes pensées. Je sais pas ... Il y avait quelque chose de différent.

Elle ne peut mentir. Prétendre que tout cela n'était qu'une seule nuit lambda et que rien n'avait compté. Pourtant, depuis ce moment, le visage d'Aedan hantait ses pensées plus que de raison. Elle avait l'impression qu'une connexion s'était produite entre eux, que ce n'était pas que physique. Pourtant .. Tout cela était ridicule, c'était un employé. Arrête avec tes questions sur lui ! Expliqua-t-elle en rigolant légèrement. Elle tentait d'alléger la situation. Il a simplement les yeux beaucoup trop bleu, c'est tout ce que je peux dire ! Elle s'interrompt, venant l'aider à placer les couverts et assiettes sur la table. Tu veux un autre verre peut-être ? Long soupir qui s'échappe entre ses lèvres, elle se laisse tomber sur la chaise en face de Kayne, venant attraper sa main à la sienne pour venir entremêler ses doigts. C'est juste que .. C'est totalement bizarre de parler de ces choses lâ avec toi. Je n'aimerais personnellement pas entendre tes histoires concernant tes coups d'un soir ou une femme qui te plaît. Ce n'est pas le genre de conversations qu'on rêve d'avoir avec quelqu'un qui a partagé notre vie, non ? Elle passe sa main libre dans ses longues mèches brunes, exécutant le geste avec nervosité. Peut-être que tout ça n'a pas compté pour toi, mais moi oui, donc .. Ça fait bizarre.