Come little children, the time come's to play || FB

« PUTAIN MAIS TOUT ME FAIT CHIER DANS CETTE BARAQUE !! ET TOI ?? POURQUOI TU ME REGARDES COMME CA ? T’AS PAS QUELQU’UN D’AUTRE A ALLER… » En lâche, Simplette fuit la maison des, alors, six nains, sa maison. Malgré la porte de la cuisine qu’elle referme derrière elle, comme une ombre, la voix tonitruante du paternel, imbibé, comme souvent, se fait encore entendre. Elle est lâche, Simplette. Elle ignore lequel des nains a eu le malheur de se retrouver dans le collimateur du vieux grincheux, mais il va passer un sale quart d’heure… Et elle ne veut de toute façon pas voir ça. Ça la porte toujours aux larmes de voir ses frères et sœurs souffrir, et elle ne manque jamais de finir par y passer aussi, pour donner bonne mesure, pour « lui apprendre à être une pisseuse ». C’est que, c’est un grand poète, le paternel. Il manie les mots aussi bien que les coups : grossièrement. Grossièrement, c’est assez pour péter des bras, des mâchoires, à des enfants, mais, heureusement, il n’est –encore- jamais allé jusque là.

On est dimanche. Un dimanche de mai. Il fait beau, et, dans les hautes herbes de leur jardin mal entretenu, il y a des fleurs. Haute comme trois pommes dans une petite robe rose malgré ses cinq ans, Simplette disparaît bientôt dans ce qui est pour elle un labyrinthe végétal, puisque… Elle ne dépasse pas les herbes ! Les insectes volent tout autour d’elle, dérangés par son passage dans les tiges, quelques araignées se collent à ses vêtements, ses cheveux. Gabrielle avance un peu plus, encore, jusqu’à ce que le son de la voix furieuse de son père ne soit plus qu’un vague fond sonore, indistinct, étouffé, au milieu de ce qui est pour elle une forêt. Dans le fond du jardin, la fée se laisse lourdement tomber au sol, et roule dans tous les sens. Un effort intense, mais bref. Défoulée, elle jette un œil à son œuvre : dans un cercle d’1m50 de diamètre, toutes les herbes sont couchées, agitant la vie de la biomasse autour d’elle. Les bras écarts, elle se laisse tomber en arrière et, les yeux vers le ciel, elle suit de ses grands yeux vert lagune le vol incessant de tous les insectes qu’elle a courroucés. Ça buzz plus ou moins fort, ça s’agite en dessous d’elle, c’est comme si elle les entendait grouiller… La gamine, si petite et souvent négligée, raillée, à cause de cela, se sens, pour un instant, comme Gulliver le géant.

Animés de leur vie propre, ses doigts fouissent le sol à la recherche de… Quelque chose. Un caillou, peut-être ? « Aïe… » Simplette se redresse, son doigt est coupé. Peu profond. Elle met son index dans sa bouche. Ce n’est pas un caillou qu’elle a trouvé, mais un morceau de verre vert. Sans attendre, Gabrielle place le tesson en lentille pour observer le monde. Vert sur le vert des hautes herbes, elle ne voit pas grand-chose ! Changement de plan, de monocle, le tesson devient une lentille, ou plutôt, un filtre. Les rayons du soleil tapant directement dedans projettent une lueur qui plaît à la gamine. Elle se complaît pendant dieu seul sait combien de temps, allongée sur le ventre, à jouer avec le soleil et son tesson, éclairant la vie des minuscules insectes de ce qu’ils prendraient peut-être pour une lumière divine ? elle se demande, et elle se demande alors si Dieu fait pareil avec eux, tous, si, comme elle regarde les fourmis, il lui arrive aussi de les regarder, et s’interroge plus avant encore sur le sens de la vie, jusqu’à ce qu’elle entende la porte de la maison s’ouvrir. Le son, même si lointain dans sa rêverie, la ramène immédiatement à la réalité de par le danger immédiat qu’il représente. Gabrielle se recroqueville sur elle-même. Elle est au fond du jardin et ne dépasse pas les hautes herbes, personne ne va la voir, pas vrai ?

L'coeur de papa est comme le sac de Mary Poppins, on y trouve tout plein de choses sauf qu'a la place des parapluie, doudous et bonbons, c'est des injures, des mains sur la gueule et des crachats. Son étroitesse d'esprit et le toxique de sa façon de communiquer aurait foutu un vrac pas possible dans cette famille déjà dysfonctionnelle. Il est l'élément perturbateur, le bourreau. Et maman, elle l'laisse faire. Impuissante. Personne ne sait jamais quand un accès de colère va frapper le foyer mais quand ça arrive, il ne vaut mieux pas se trouver dans la même pièce que lui. Aujourd'hui ne fait pas exception. Aujourd'hui est comme tous les autres jours. Aujourd'hui c'est Thomas qui prend pour la fratrie. Oreilles bouchées dans un coin d'sa chambre, il entend tout, le bruit déstructuré de la main du paternel qui s'abat violement contre la joue du gosse, le souffle de douleur qui s'échappe des lippes de son frangin et la porte que ce cher père claque quelques secondes plus tard avec fracas, sans doutes pour se livrer à son activité favorite, dépenser l'argent qui devrait servir à les nourrir en vin ou bière.

Il faudra quelques secondes au gamin pour sortir de sa position, prostré, ces jambes contre son ventre, les larmes qui ont coulés. A l'époque, il n'a que sept ans et s'effondre à chaque geste de torture. Ce n'est que plus tard qu'il viendra s'affirmer et s'opposer à c'vieux débris. Il se redresse, regard qui file par la fenêtre de la maison, silhouette féminine qu'il entraperçoit au milieu de la végétation qui mériterait une bonne coupe franche. A son tour, d'un pas discret et timide, il franchit le salon, chaussures récupérées dans l'entrée. Un regard sur le côté, Thomas est là, dans les bras de maman qui fredonne une chanson. Aujourd'hui, le spectacle lui semblerait risible. A l'époque, il la trouvait touchante. Une fois dehors, il avance au travers de la broussaille. Sans un bruit, il vient s'installer près d'elle. Il pourrait partager avec elle sa haine pour cet homme. Plus que tout au monde. Il lui pourri la vie. Mais jamais il ne l'a fait. Jamais les deux gamins ne se sont épanchés l'un envers l'autre de cette façon. Oscar n'a jamais été doué avec les mots de toutes façons. A la place, il vient simplement la regarder, cette même lueur triste dans le regard. tu fais quoi ? Pris d'un frisson, il resserre ses jambes contre lui. Il fait froid ici. Le vent qui n'arrange rien. Pourtant, cet endroit lui semble bien plus chaleureux que l'intérieur de la maison. Le souffle court, couvert d'une forme de honte, celle de ne pas savoir être "assez bien" pour faire taire des crises du paternel. Cette fois, il n'en était pas la cible mais il aurait tout à fait pu. C'est un peu comme la roulette russe avec lui, on sait jamais sur qui ça va tomber.

Autour d’elle, ça bouge et ça s’excite, quelqu’un d’autre franchit la forêt d’herbe, Gabrielle retient son souffle et… Soupire de soulagement quand elle se rend compte qu’il s’agit d’Oscar. Gabrielle aime bien Oscar. Il est toujours curieux de savoir à quoi elle joue, que ça soit « the floor is lava » dans leur chambre, avec ses peluches éparpillées aux quatre coins des étagères, armoires et commodes, comme une légion de jouets pelucheux qui ne demandent qu’une occasion pour vous sauter dessus, comme Gabrielle saute sur le lit. Oscar non plus il n’aime pas voir les colères du paternel. A leur âge, voir est aussi traumatique que subir. C’est d’une extrême violence, pour le corps et l’esprit. Ils se sentent impuissants, fautifs, minuscules, et culpabilisent même de ne pas prendre aussi des coups. It’s fucked up. Aussi craignos que leur géniteur, gros point noir de leur existence. Sans lui, la vie serait presque douce.

Le regard de son frère déchire l’âme de la petite simplette qui, voyant son frère se recroqueviller, se lève, elle, et vient entourer ce qu’elle peut de lui avec son petit corps, lui transmettant au passage un peu de sa chaleur. « Je joue à Dieu. » Elle répond, simplement, toujours dans l’étreinte, avant de finalement relâcher son aîné. « Regarde. Fais comme moi. » Elle s’allonge, et, prenant son tesson, elle répète la manœuvre de plus tôt, dirige les rayons du soleil pour qu’ils passent à travers le verre vert et projettent une lueur verdâtre sur le monde du dessous, qui grouille, paniqué par ces géants qui viennent de détruire leur monde, si serein jusqu’ici. « Tu vois ? » Elle lui demande, presqu’inquisitrice dans son ton, curieuse de savoir si, comme elle, il voyait ce monde chamboulé par eux, comme Dieu peut chambouler le leur. Gabrielle croit se souvenir d’une histoire de dinosaures groupés deux par deux sur un bateau à cause d’une grosse pluie, ou quelque chose de ce genre. Elle se demande si Oscar aussi se sent comme Gulliver le géant, en voyant tout ça. Venant mettre sa main près de son oreille, elle lui souffle comme un secret. « Ca grouille aussi en dessous de nous… » Elle lui sourit, les yeux pétillants de malice, avant d’en revenir au tesson qui lui sert de projecteur. « Oh, regarde ! » Elle s’exclame soudain. « Elle énorme cette fourmi ! Et elle a des ailes ! Tu savais que les fourmis pouvaient voler ? » Elle demande, curieuse alors de savoir si Oscar était détenteur de pareil savoir et, si oui, pourquoi il ne lui en a rien dit ?!

Gabrielle, elle est doué pour s'évaporer dans ses songes, s'échapper dans un monde de rêveries. Oscar n'a jamais eu cette capacité. Lui tout ce qu'il sait faire, c'est fermer les yeux, se boucher les oreilles et prier pour que ça passe plus vite. Et à chaque fois, il s'sent minable, prêt à crever de honte. Trop faible et ce constat le transporte vers des idées noires, malheureuses. L'vieux qui en vient parfois jusqu'à hanter ses nuits dans des cauchemars pour le moins réaliste, comme si ces souvenirs ne suffisaient pas, regard tristement noyé dans la terreur. Mais ça, il ne peut pas l'avouer à Gabrielle ou n'importe qui d'autre, alors déjà, à cette époque, il garde tout pour lui, il s'arme d'une carapace de fer bien trop rapidement brisée par le froid extérieur. Position recroquevillée, sa tête qui s'tient contre ses genoux. Il pourrait bien la dévisser et shooter dedans. Sa carcasse qu'elle vient soutenir la plus jeune, imposant ses bras autour de lui. Chaleur agréable contre son corps trop frêle, trop chétif pour affronter le courroux du paternel. Parce qu'il lui semble immense, tragiquement semblable à un des vilains qui sont couchés sur les pages de ses comics. Mais Oscar lui, n'a rien d'un super héros. Il verra plus tard.

Dieu. Dieu n'existe pas. Ou sinon, il est trop cruel pour être remarqué. Oscar s'allonge près du corps de sa frangine, le cœur qui s'évanouit dans la douceur maladroite et animée de Gabrielle. Non, il ne voit pas. Il ne perçoit pas tout ce petit monde qu'elle semble entrevoir. Oscar est sans doutes trop terre à terre pour entreprendre d'entrer dans son monde. Ou peut être qu'il a cette crainte infinie de s'y perdre. Il n'a jamais trop su pourquoi se laisser aller à tout ça n'a jamais été possible pour lui. Dans son regard malicieux, y'a comme une forme de bonheur et rien que pour ça, Oscar ose un sourire. La lumière se reflète, douce et éphémère contre le sol. Il observe cette fourmi s'échapper le plus loin possible d'eux. Eux qui doivent troubler cette parfaite harmonie. non. Ses coudes reposent sur le sol, le regard perdu dans le vague. ça doit être cool de voler. S'il avait cette compétence, il serait déjà bien loin de cette maison. Malheureusement, c'est pas un film, c'est la réalité, et la leur est franchement médiocre. Douloureuse même. Il vient alors se poser sur le dos et fixer le ciel. on pourrait aller où on veut. qu'il continu dans le fil de sa pensée, plus pour lui même que pour la plus jeune.

Il a grandi trop vite, Oscar. Préoccupé beaucoup trop jeune par des soucis de grands, c’est à se demander s’il n’a jamais su être un enfant, ou si son père a détruit cette facette de lui déjà dans l’œuf… Il parle pas beaucoup, Oscar, mais Gabrielle voit ses yeux, ses regards, ses expressions, sa mine triste et son nez bas. Elle voit bien qu’il engloutit tout, comme un trou noir, sans savoir que les trous noirs rejettent aussi toute l’énergie qu’ils engloutissent parfois, et que ce rejet est destructeur. Elle est trop petite, Gabrielle, pour comprendre que ces silences le suivront, comme collés à sa peau, pour toujours intériorisés et gluants de culpabilité et de peine, mais elle est assez grande pour savoir qu’elle n’aime pas le voir malheureux. Ni lui, ni aucun autre de ses frères et sœurs, et encore moins sa mère, si peu disponible pour eux parce que se donnant intégralement pour qu’ils puissent manger, s’habiller et être au chaud l’hiver. Dans la tête de Gabrielle, sa mère, qu’elle voit très peu étant souvent déjà couchée quand elle rentre, et pas encore éveillée quand elle part, est un super-héros, comme ceux des comics, et elle peut se multiplier. Dans la tête de Gabrielle, sa mère l’aime assez pour vouloir passer toute une journée avec elle. Rien d’étonnant à ce que la gamine passe son temps dans ses rêveries, c’est qu’elles sont bien plus agréables que la réalité !

Non, Oscar ne voit pas ce qu’elle voit. Comment il pourrait, sans ses yeux d’enfants ? Si Peter Pan débarquait ici et maintenant, Oscar, malgré la poudre de fée, ne pourrait jamais voler ! Mais Gabrielle n’entend pas laisser son aînée derrière, loin de là. Attrapant son visage entre ses deux petites mains, son regard vert lagune est presque fou lorsqu’il rencontre les billes de celui de son frère alors qu’elle colle son front au sien, louchant, de ce fait, pour continuer à le regarder. « On pourrait faire plus que ça… » Elle chuchote, comme une possédée. « On pourrait aller au pays imaginaire ! Mais, tu sais ce que je ferai, moi, si je pouvais voler ? » Facile, pour elle, de se projeter, c’est un des premiers rêves qu’elle a fait, et un rêve qu’elle caresse régulièrement du bout des doigts. Ses mains sont douces et chaudes, mais aussi moites, contre les tempes de son aîné, son regard toujours aussi fou. « Je mangerai des nuages ! » Et, enfin, elle le relâche pour se jeter en arrière, et retourner son regard vers le ciel. « Je les mangerai, et je ferai une sieste dessus ! Déjà parce qu’ils ressemblent à de la barbe à papa, et que j’adore ça, et aussi, est-ce que tu as déjà vu quelque chose qu’a l’air aussi confortable qu’un nuage ?? Bah moi, pas ! »