cold case and coffee (ophelia)

La fébrilité à fleur de peau tout en observant les briques rouges typiques murant les façades de ce coin de Manhattan, et ses escaliers de secours qui se mélangeaient aux structures des devantures de boutiques. Ce n’était pas la fraicheur du soir tombant qui arrachait un frisson à Azaël, plutôt un torrent d’émotions contradictoires qui l’avait chahuté pendant la journée. Depuis ce drôle de message.

Comme un caillou lancé en plein sur une surface paisible, et qui provoquait maintenant un tsunami. La preuve que dans les profondeurs, le calme n’avait jamais régné. Dix années n’avaient en rien effacé les remous de ses pertes, de son chagrin ou de sa colère. L’incertitude et le sentiment d’injustice avaient peut-être même décuplé une tempête qui s’était relativement bien cachée jusqu’à présent. Azaël avait appris la patience en prison ; être patient voulait dire aussi savoir attendre son heure. Et un petit ange viendrait peut-être récompenser cette force tranquille, même si l’inconnue admettait de pas avoir d’éléments qui changeraient la face du monde. Elle n’avait pas dit qu’elle n’avait « rien ».

Emmitouflé dans une grosse écharpe bordeaux et un vieux blouson cuir, Azaël observait les allées et venues sur la Duane Street, où c’était la croix et la bannière pour trouver une place, même à deux roues. Un nouveau coup d’œil aux aiguilles de sa montre, et son cœur fit un bond : les 19 heures allaient frapper, enfin. Il décolla de la charpente noir mat de sa moto et traversa la rue, direction le Laughing Man Café. Un endroit à la réputation bien méritée mais pour un gros consommateur de café comme lui, pas le must pour se ravitailler en quantité tout en sauvant son porte-monnaie. Une certaine curiosité insensée le tenaillait alors qu’il examinait rapidement les visages des passants, comme s’il s’attendait à en reconnaître un qu’il n’avait croisé que subrepticement voilà une décennie. Il ne savait en réalité à qui s’attendre, à part une femme.

Il franchit la porte du shop d’un pas nonchalant qui contrastait avec son agitation intérieure. La chaleur qui l’entoura, avec le bruit environnant, réchauffa sa frimousse, l’étouffa presque alors qu’il se libérait de son écharpe. D’un œil sombre, du haut de sa carcasse sèche, il jaugea le public présent, à la recherche de l’ange qui n’avait jamais renoncé à son enquête. Sans avoir imaginé son apparence, Azaël avait plutôt estimé son tempérament : et sa conclusion était qu’elle ne serait pas en retard. Il commanda un Long black et, accoudé au comptoir où d’autres consommateurs patientaient, l’vieux motard sentit une silhouette approcher.  

Vous savez lorsqu'on dit que le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? C'est exactement ce qu'elle avait fait. Avec un simple petit message texte, la brune avait éveillé une tempête chez un être qui n'avait rien demandé. Pourtant, elle avait été incapable de garder ce mutisme pour elle seule un jour de plus. Près de dix ans à tenir cette révélation dans le creux de son coeur, dix longues années à cacher la mission qu'elle s'était personnellement donnée et aussi .. Dix ans à calomnier la vérité auprès du corps policier.

Le rendez-vous avait été fixé. Endroit convivial, très loin de son poste habituel. Ce n'était pas le moment qu'une langue affligeante vienne épier sa conversation et révèle au grand jour toute la véridicité de ses actes. Elle avait opté pour quelque chose de plus doux, dont elle connaissait le public cible. En temps normal, les étudiants occupaient les tables avec des ordinateurs dernier cri, analysant des programmes d'étude qui lui semblaient si .. complexe. Sinon, il y avait des couples à leur premier rendez-vous. Terriblement mal à l'aise de manger ou boire quelque chose en face de leur nouvelle flamme. Les profils de clients étaient variés, mais normalement .. Aucun ne correspondait au lieutenant de police empli de secret. Vous croyez aux anges Monsieur Keats ? Elle murmure presque, venant s'accouder aux côtés de l'homme au veston de cuir. Elle l'avait observé dès son arrivée dans le café. Le visage interrogateur, les iris qui balayaient sans cesse le local d'une œillade avisée, cherchant la personne qui avait fait gronder son monte tel qu'il le connaissait. D'un geste de la main délicat, elle avisa le barista de lui emmener une boisson chaude. Au nombre de fois qu'elle venait trouver, la paix dans cet endroit, son faciès était connue, de même que sa commande. Elle avait l'impression de contraster à côté du colosse, qu'elle semblait fragile et que s'il tentait, il la blesserait d'un geste de main. Est-ce que par hasard, mon visage vous rappelle quelque chose ?

Parfois, quand elle réfléchit bien ; elle entend encore son cri dans les couloirs sombres du poste. Elle revoit cette scène horrible ou elle hurlait de rage auprès des gens qui refusaient de comprendre. Ceux qui .. Semblait balayer la raison du revers de la main. La main du colosse ne tremble plus comme autrefois. Lorsqu'il écrivait sa déposition sur cette feuille blafarde, elle se souvient avoir posé sa main contre la sienne, lui faisant bien comprendre qu'il pouvait prendre le temps qu'il avait besoin. Elle avait même cette étreinte délicate envers lui, la main rassurante dans son dos. À ce moment, elle n'avait pas engagé une conversation poussée. Néanmoins, elle se souvenait s'être présenté, sourire aux lèvres. Autrefois agent Anderson. Aujourd'hui lieutenant. Café qui vint à être glissé contre le comptoir de marbre, elle l'attrape en venant le porter à ses lèvres, se délectant d'une gorgée brulante. Je ne vous ai jamais abandonné.

Vous croyez aux anges, monsieur Keats ?
Ce fut la voix, avec son intonation et son timbre, plus que le visage au regard vif qui l’emporta dix ans en arrière : dans cette façon presque douce, et dans un contrôle rageur, dont la policière était passée de furie à oreille empathique. Et s’il fallait croire aux anges, alors il devrait foutrement s’y mettre. La vérité, c’est que sa mère y avait assez cru pour deux, rien qu’en le baptisant du nom d’un fichu ange tombé des cieux. Prémonition ? Trop de rêvasseries dans ses bouquins ésotériques, pour s’échapper d’un quotidien fade comme un oiseau sauvage d’une cage.

Azaël obliqua ses mirettes noisette vers la messagère non du Très Haut, mais d’une quête de vérité. Si jusqu’à la dernière minute, le doute avait discrètement resserré sa gorge dans un étau sceptique, en murmurant que tout cela n’était qu’un mauvais canular, à présent… les films fabriqués par son esprit et les hypothèses commençaient à prendre une teinte parfaitement réelle et le goût du tangible. Il espérait seulement que cela ne tourne pas en mayonnaise de déception. Malgré lui, néanmoins, un sourire vint éclairer sa dégaine de barbu, lorsqu’il rétorquait tout en refermant ses doigts sur son café :

« Le visage est flou, mais la voix est restée la même. »

La surface du gobelet était brûlante mais après le froid humide du dehors, le contact était agréable. Les soubresauts de son impatience s’étaient agités au cours de la journée, et à présent qu’il se tenait face à celle qui se présentait comme le Lieutenant Anderson, c’était à nouveau le flegme qui transparaissait d’Azaël. Il n’avait plus besoin de se débattre face au spectre de l’inconnu. Le souvenir désagréable de sa déposition le traversa ; les images s’étaient estompées au profit de la sensation de détresse alors éprouvée et l’incompréhension de se prendre un mur. Observer cette mémoire avec détachement, il pouvait. Ce n’étaient pas là les flashes et les sons qui revenaient le hanter certaines nuits. « Félicitations pour vos promotions. » Azaël attendait du café qu’il refroidisse avant d’y goûter. Pour mieux le savourer. Et opina faiblement du chef alors qu’Anderson insistait à nouveau sur cette étrange sensation de ne plus être seul dans cette galère. Ne plus être seul à courir après une chimère de dix ans. Un simple mouvement noyé par toute la reconnaissance d'un homme. Le monde avait été assez fou pour poser son histoire sur la pile du désintérêt. Ou ces deux-là avaient été assez cinglés pour y voir une horreur à réparer.

Gêné par le ronronnement proche des machines débitant les boissons et l’agitation des équipes hélées pour les commandes, il chercha une issue pour s’extraire de ce vertige : le monde tournait d’un coup trop vite alors qu’une certaine mesure serait nécessaire aux découvertes et hypothèses de la policière. Azaël indiqua au Lieutenant une table fraichement libérée dans un coin, l’invita à gagner cette bulle de tranquillité. Les coudes appuyés sur la table, il considérait son gobelet comme un écrin intouchable, avant de relever un sourcil inquisiteur vers la jeune femme. Au fond de l’œil, son âme brûlait de savoir. « Alors, qu’avez-vous pu trouver ? »

Les années avaient passé, mais elle avait tout de même l'impression que la souffrance habitait l'homme. Avec le temps, les profils se ressemblaient beaucoup et elle en avait vu beaucoup dans sa carrière. Lieutenante de police exemplaire, la brunette n'avait jamais fait quoi que ce soit qui avait dérogé de son serment de l'académie policière. En public, du moins. Secrètement, elle avait gardé cette mission sous le bras depuis des années, voulant une justice pour cet homme. Trop de tours d'horloge avaient passé depuis que ce précieux secret était précieusement enfoui dans son être. Aujourd'hui, elle avait besoin que le personnage principal soit au courant de cette fraternité silencieuse. Rassurez vous, je n'ai pas l'intention de crier cette fois. Parce qu'elle avait clamé haut et fort dès leur première rencontre, teintant sa première impression d'une officière criarde et colérique. Navrée d'avoir joué les inconnues et d'avoir usé de mystère. Mais .. Comprenez que je ne pouvais pas tellement m'exposer. Parce qu'un simple message texte, c'est très traître. Qu'en tant que lieutenante, ses réseaux sociaux étaient souvent explorés et analyser en cas de besoin et qu'une simple petite preuve comme celle-ci pouvait être incriminante. Un sourire sincère s'était dessiné sur son visage au moment où le grand colosse la remercia pour sa promotion. Derrière ce nouveau titre, elle s'était battue terriblement fort, simplement pour prouver de quoi elle était capable, simplement pour se faire entendre. Plusieurs portes s'étaient fermées sur son passage et elle avait toujours usé de courage et de dynamisme pour que finalement, ses efforts soient reconnus. C'est gentil. Murmura-t-elle presque avec timidité, une étrange sensation qu'un jour, tout ça lui serait retiré par des êtres malveillants, comme elle avait toujours connu dans sa vie.

Ses iris ne cessaient de balayer la scène les entourant, s'assurant qu'une âme hostile se trouve dans les parages, prêt à voler les mots de la bouche de la lieutenante et les exposer au grand jour pour lui nuire. Elle savait tout de même qu'elle s'exposait à un possible danger en reprenant une affaire jugée comme classée et vieille de plusieurs années. Heureusement, ils s'éloignent finalement de la cohue pour trouver une table beaucoup plus calme. La main qui se glisse dans son sac à main, elle en sort un dossier foncé, qu'elle laisse lentement glisser contre la table en marbre blanc. Holden McMiller. Il a récemment été arrêté pour vol de voiture à Brooklyn mais .. Elle s'interrompt, venant sortir les divers clichés qui avait pris de l'homme, les étalant sur la table. J'ai cherché ce putain de tatouage toute ma vie .. C'est bien celui-là, non ? Elle se redresse légèrement, venant prendre la tasse de café en main. Elle joue nerveusement avec l'objet, observant autour d'elle. Discrète paranoïa qui s'emparait d'elle, comme si quelqu'un l'espionnait. Je suis prête à le suivre.. Histoire d'en apprendre plus.